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de ces scènes du temps de ses filles aînées, mais elle s’avouait actuellement que la susceptibilité exagérée de son mari avait sa raison d’être. Bien des choses étaient changées dans les usages de la société, et les devoirs d’une mère devenaient de jour en jour plus difficiles. Les contemporaines de Kitty se réunissaient librement entre elles, suivaient des cours, prenaient des manières dégagées avec les hommes, se promenaient seules en voiture ; beaucoup d’entre elles ne faisaient plus de révérences, et, ce qu’il y avait de plus grave, chacune d’elles était fermement convaincue que l’affaire de choisir un mari lui incombait à elle seule, et pas du tout à ses parents. « On ne se marie plus comme autrefois », pensaient et disaient toutes ces jeunes filles, et même les vieilles gens. Mais comment se marie-t-on alors maintenant ? C’est ce que la princesse n’arrivait pas à apprendre de personne. L’usage français qui donne aux parents le droit de décider du sort de leurs enfants n’était pas accepté, il était même vivement critiqué. L’usage anglais qui laisse pleine liberté aux jeunes filles n’était pas admissible. L’usage russe de marier par un intermédiaire était considéré comme un reste de barbarie ; chacun en plaisantait, la princesse comme les autres. Mais comment s’y prendre pour bien faire ? Personne n’en savait rien. Tous ceux avec lesquels la princesse en avait causé répondaient de même : « Il est grand temps de renoncer à ces vieilles idées ; ce sont les jeunes gens qui épousent, et non