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« Tu vois que j’avais raison », dit-elle d’un air triomphant à son mari.

Elle fut encore plus enchantée lorsque Wronsky se mit sur les rangs et son espoir de marier Kitty non seulement bien, mais brillamment, ne fit que se confirmer.

Pour la princesse, il n’y avait pas de comparaison à établir entre les deux prétendants. Ce qui lui déplaisait en Levine était sa façon brusque et bizarre de juger les choses, sa gaucherie dans le monde, qu’elle attribuait à de l’orgueil, et ce qu’elle appelait sa vie de sauvage à la campagne, absorbé par son bétail et ses paysans. Ce qui lui déplaisait plus encore était que Levine, amoureux de Kitty, eût fréquenté leur maison pendant six semaines de l’air d’un homme qui hésiterait, observerait, et se demanderait si, en se déclarant, l’honneur qu’il leur ferait ne serait pas trop grand. Ne comprenait-il donc pas qu’on est tenu d’expliquer ses intentions lorsqu’on vient assidûment dans une maison où il y a une jeune fille à marier ? et puis ce départ soudain, sans avertir personne ?

« Il est heureux, pensait-elle, qu’il soit si peu attrayant, et que Kitty ne se soit pas monté la tête. »

Wronsky, par contre, comblait tous ses vœux : il était riche, intelligent, d’une grande famille ; une carrière brillante à la cour ou à l’armée s’ouvrait devant lui, et en outre il était charmant. Que pouvait-on rêver de mieux ? il faisait la cour à Kitty