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terrible que nous osions approcher d’un être pur, innocent ? n’est-ce pas affreux ? et n’est-il pas juste que je me trouve indigne ?

— Je ne crois pas que tu aies grand’chose à te reprocher.

— Et cependant, dit Levine, en repassant ma vie avec dégoût, je tremble, je maudis, je me plains amèrement, oui… »

— Que veux-tu ! le monde est ainsi fait, dit Oblonsky.

— Il n’y a qu’une consolation, celle de cette prière que j’ai toujours aimée : « Pardonne-nous selon la grandeur de ta miséricorde, et non selon nos mérites. » Ce n’est qu’ainsi qu’elle peut me pardonner. »


CHAPITRE XI


Levine vida son verre, et pendant quelques instants les deux amis gardèrent le silence.

« Je dois encore te dire une chose. Tu connais Wronsky ? demanda Stépane Arcadiévitch à Levine.

— Non, pourquoi cette question ?

— Donne encore une bouteille, dit Oblonsky au Tatare qui remplissait leurs verres. C’est que Wronsky est un de tes rivaux.

— Qu’est-ce que Wronsky ? demanda Levine dont la physionomie, tout à l’heure si juvénilement enthousiaste, n’exprima plus que le mécontentement.