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s’avança jusqu’à la salle à manger, donnant, tout en marchant, ses ordres au Tatare en habit noir, la serviette sous le bras, qui s’accrochait à lui. Saluant à droite et à gauche les personnes de connaissance qui, là comme ailleurs, le rencontraient avec plaisir, il s’approcha du buffet et prit un petit verre d’eau-de-vie. La demoiselle de comptoir, une Française frisée, fardée, couverte de rubans, de dentelles et de boucles, fut aussitôt l’objet de son attention ; il lui dit quelques mots qui la firent éclater de rire. Quant à Levine, la vue de cette femme, toute composée de faux cheveux et de poudre de riz, lui ôtait l’appétit ; il s’en éloigna avec hâte et dégoût. Son âme était remplie du souvenir de Kitty, et dans ses yeux brillaient le triomphe et le bonheur.

« Par ici, Votre Excellence : ici Votre Excellence ne sera pas dérangée, disait le vieux Tatare, tenace et obséquieux, dont la vaste tournure forçait les deux pans de son habit à s’écarter par derrière.

— Veuillez approcher, Votre Excellence », dit-il aussi à Levine en signe de respect pour Stépane Arcadiévitch dont il était l’invité.

Il étendit en un clin d’œil une serviette fraîche sur la table ronde, déjà couverte d’une nappe, et placée sous une girandole de bronze ; puis il approcha deux chaises de velours, et, la serviette d’une main, la carte de l’autre, il se tint debout devant Stépane Arcadiévitch, attendant ses ordres.

« Si Votre Excellence le désirait, elle aurait un