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répondront que vous avez la connaissance de votre existence uniquement par suite d’une accumulation de sensations, en un mot, qu’elle n’est que le résultat des sensations. Wurst dit même que là où la sensation n’existe pas, la conscience de l’existence est absente.

— Je dirai au contraire… », répliqua Serge Ivanitch.

Levine remarqua encore une fois qu’au moment de toucher au point capital, selon lui, ils allaient s’en éloigner, et se décida à faire au professeur la question suivante :

« Dans ce cas, si mes sensations n’existent plus, si mon corps est mort, il n’y a plus d’existence possible ? »

Le professeur regarda ce singulier questionneur d’un air contrarié et comme blessé de cette interruption : que voulait cet intrus qui ressemblait plus à un paysan qu’à un philosophe ? Il se tourna vers Serge Ivanitch, mais celui-ci n’était pas à beaucoup près aussi exclusif que le professeur et pouvait, tout en discutant avec lui, comprendre le point de vue simple et rationnel qui avait suggéré la question ; il répondit en souriant :

« Nous n’avons pas encore le droit de résoudre cette question.

— Nous n’avons pas de données suffisantes, continua le professeur en reprenant ses raisonnements. Non, je prétends que si, comme le dit clairement Pripasof, les sensations sont fondées sur des impres-