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zky, peu après son admission dans la marine, se noya dans la Baltique, et les relations de Levine avec sa famille devinrent plus rares, malgré l’amitié qui le liait à Oblonsky. Au commencement de l’hiver cependant, étant venu à Moscou, après une année passée à la campagne, il revit les Cherbatzky et comprit alors laquelle des trois il était destiné à aimer.

Rien de plus simple, en apparence, que de demander en mariage la jeune princesse Cherbatzky ; un homme de trente-deux ans, de bonne famille, d’une fortune convenable, avait toute chance de passer pour un beau parti, et vraisemblablement il aurait été bien accueilli. Mais Levine était amoureux ; Kitty lui paraissait une créature si accomplie, d’une supériorité si idéale, et il se jugeait au contraire si défavorablement, qu’il n’admettait pas qu’on le trouvât digne d’aspirer à cette alliance.

Après avoir passé deux mois à Moscou comme en rêve, rencontrant Kitty chaque jour dans le monde, où il était retourné à cause d’elle, il repartit subitement pour la campagne, après avoir décidé que ce mariage était impossible. Quelle position dans le monde, quelle carrière convenable et bien définie offrait-il aux parents ? Tandis que ses camarades étaient, les uns colonels et aides de camp, d’autres professeurs distingués, directeurs de banque et de chemin de fer, ou présidents de tribunal, comme Oblonsky, que faisait-il, lui, à trente-deux ans ? Il s’occupait de ses terres, élevait des bestiaux, construisait des bâti-