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Vers la fin d’août, Dolly renvoya la selle, et Levine apprit par le messager qui la rapporta, que les Oblonsky étaient rentrés à Moscou. Le souvenir de sa grossièreté envers ces dames le fit rougir ; sa conduite avec les Swiagesky n’avait pas été meilleure ; mais il était trop occupé pour avoir le loisir de s’appesantir sur ses remords. Ses lectures l’absorbaient ; il avait lu les livres prêtés par Swiagesky et d’autres qu’il s’était fait envoyer. Mill, qu’il étudia le premier, l’intéressa sans lui rien offrir d’applicable à la situation agraire en Russie. Le socialisme moderne ne le satisfit pas davantage. Le moyen de rendre le travail des propriétaires et des paysans russes rémunérateur ne lui apparaissait nulle part. À force de lire, il en vint à projeter d’aller étudier sur place certaines questions spéciales, afin de ne pas toujours être renvoyé aux autorités, comme Mill, Schulze-Delitzsch et autres. Au fond, il savait ce qu’il tenait à savoir : la Russie possédait un sol admirable qui, en certains cas, comme chez le paysan sur la route, rapportait largement, mais qui, traité à l’européenne, ne produisait guère. Ce contraste n’était pas un effet du hasard.

« Le peuple russe, pensait-il, destiné à coloniser des espaces immenses, se tient à ses traditions, à ses procédés propres ; qui nous dit qu’il ait tort ? » Le livre qu’il projetait devait démontrer cette théorie, et les procédés populaires devaient être mis en pratique sur sa terre.