Page:Tolstoï - Anna Karénine, 1910, tome 1.djvu/550

Cette page a été validée par deux contributeurs.

garçon, la bouche pleine, racontait une histoire qui faisait rire tout le monde, mais principalement la jeune femme, occupée à remplir de soupe une grande écuelle où chacun puisait.

Levine emporta de cet intérieur de paysans aisés une impression douce et durable, qu’il garda pendant le reste de son voyage.


XXVI


Swiagesky était maréchal de son district ; plus âgé que Levine de cinq ans, il était marié depuis longtemps ; sa belle-sœur, une jeune fille très sympathique, vivait chez lui, et Levine savait, comme les jeunes gens à marier savent ces choses-là, qu’on désirait la lui voir épouser. Quoiqu’il songeât au mariage, et qu’il fût persuadé que cette aimable personne ferait une charmante femme, il aurait trouvé aussi vraisemblable de voler dans les airs que de l’épouser. La crainte d’être pris pour un prétendant lui gâtait le plaisir qu’il se proposait de sa visite, et l’avait fait réfléchir en recevant l’invitation de son ami.

Swiagesky était un type intéressant de propriétaire adonné aux affaires du pays ; mais il y avait peu de rapports entre les opinions qu’il professait et sa façon de vivre et d’agir. Il méprisait la noblesse, qu’il accusait d’être hostile à l’émancipation, traitait la Russie de pays pourri, dont le détestable