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ne saurais me repentir de respirer, d’aimer ; il sait que, de tout ce qu’il exige, il ne peut résulter que fausseté et mensonge : mais il a besoin de prolonger ma torture. Je le connais, je sais qu’il nage dans le mensonge comme un poisson dans l’eau. Je ne lui donnerai pas cette joie : je romprai ce tissu de faussetés dont il veut m’envelopper. Advienne que pourra ! Tout vaut mieux que tromper et mentir ; mais comment faire ?… Mon Dieu, mon Dieu ! Quelle femme a jamais été aussi malheureuse que moi ! Je romprai tout, tout ! » dit-elle en s’approchant de sa table pour écrire une autre lettre ; mais, au fond de l’âme, elle sentait bien qu’elle était impuissante à rien résoudre et à sortir de la situation où elle se trouvait, quelque fausse qu’elle fût.

Assise devant sa table, elle appuya, au lieu d’écrire, sa tête sur ses bras, et se mit à pleurer comme pleurent les enfants, avec des sanglots qui lui soulevaient la poitrine.

Elle pleurait ses rêves du matin, cette position nouvelle qu’elle avait crue éclaircie et définie ; elle savait maintenant que tout resterait comme par le passé, que tout irait même beaucoup plus mal. Elle sentait aussi que cette position dans le monde, dont elle faisait bon marché, il y a quelques heures, lui était chère, qu’elle ne serait pas de force à l’échanger contre celle d’une femme qui aurait quitté mari et enfant pour suivre son amant ; elle sentait qu’elle ne serait pas plus forte que les préjugés. Jamais elle ne connaîtrait l’amour dans sa liberté, elle resterait