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gnant un homme fortement constitué, à barbe frisée, qui montait légèrement et rapidement les marches usées de l’escalier de pierre, sans prendre la peine d’ôter son bonnet de fourrure. Un employé, qui descendait, le portefeuille sous le bras, s’arrêta pour regarder d’un air peu bienveillant les pieds du jeune homme, et se tourna pour interroger Oblonsky du regard. Celui-ci, debout au haut de l’escalier, le visage animé encadré par son collet brodé d’uniforme, s’épanouit encore plus en reconnaissant l’arrivant.

« C’est bien lui ! Levine, enfin ! s’écria-t-il avec un sourire affectueux, quoique légèrement moqueur, en regardant Levine qui s’approchait. — Comment, tu ne fais pas le dégoûté, et tu viens me chercher dans ce mauvais lieu ? dit-il, ne se contentant pas de serrer la main de son ami, mais l’embrassant avec effusion. — Depuis quand es-tu ici ?

— J’arrive et j’avais grande envie de te voir, répondit Levine timidement, en regardant autour de lui avec méfiance et inquiétude.

— Eh bien, allons dans mon cabinet », dit Stépane Arcadiévitch qui connaissait la sauvagerie mêlée d’amour-propre et de susceptibilité de son ami ; et, comme s’il se fût agi d’éviter un danger, il le prit par la main pour l’emmener.

Stépane Arcadiévitch tutoyait presque toutes ses connaissances, des vieillards de soixante ans, des jeunes gens de vingt, des acteurs, des ministres, des marchands, des généraux, tous ceux avec lesquels il prenait du champagne, et avec qui n’en prenait-il