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avec autant de douceur et moins de mystère à son regard interrogateur.

« Non, pensa-t-il, quelque belle que soit cette vie simple et laborieuse, je n’y puis plus revenir. C’est elle que j’aime. »


CHAPITRE XIII


Personne, excepté ses familiers, ne soupçonnait qu’Alexis Alexandrovitch, cet homme froid et raisonnable, fût la proie d’une faiblesse en contradiction absolue avec la tendance générale de sa nature. Il ne pouvait voir pleurer un enfant ou une femme sans perdre son sang-froid ; la vue de ces larmes le troublait, le bouleversait, lui ôtait l’usage de ses facultés. Ses subordonnés le savaient si bien qu’ils mettaient les solliciteuses en garde contre tout accès de sensibilité afin de ne pas compromettre leur affaire. « Il se fâchera et ne vous écoutera plus », disaient-ils. Effectivement, le trouble que les larmes causaient à Alexis Alexandrovitch se traduisait par une colère agitée. « Je ne peux rien pour vous, veuillez sortir », disait-il généralement en pareil cas.

Lorsque, en revenant des courses, Anna lui eut avoué sa liaison avec Wronsky et, se couvrant le visage de ses mains, eut éclaté en sanglots, Alexis Alexandrovitch, quelque haine qu’il éprouvât pour sa femme, ne put se défendre d’un trouble profond. Pour éviter toute marque extérieure incompatible