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défaut de Karénine, des centaines d’autres personnes, frères, sœurs, cousins, oncles, tantes, lui auraient procuré cette place, ou toute autre du même genre, ainsi que les six mille roubles qu’il lui fallait pour vivre, ses affaires étant peu brillantes malgré la fortune assez considérable de sa femme. Stépane Arcadiévitch comptait la moitié de Moscou et de Pétersbourg dans sa parenté et dans ses relations d’amitié ; il était né au milieu des puissants de ce monde. Un tiers des personnages attachés à la cour et au gouvernement avaient été amis de son père et l’avaient connu, lui, en brassières ; le second tiers le tutoyait ; le troisième était composé « de ses bons amis » ; par conséquent il avait pour alliés tous les dispensateurs des biens de la terre sous forme d’emplois, de fermes, de concessions, etc. ; et ils ne pouvaient négliger un des leurs. Oblonsky n’eut donc aucune peine à se donner pour obtenir une place avantageuse ; il ne s’agissait que d’éviter des refus, des jalousies, des querelles, des susceptibilités, ce qui lui était facile à cause de sa bonté naturelle. Il aurait trouvé plaisant qu’on lui refusât la place et le traitement dont il avait besoin. Qu’exigeait-il d’extraordinaire ? il ne demandait que ce que ses contemporains obtenaient, et se sentait aussi capable qu’un autre de remplir ces fonctions.

On n’aimait pas seulement Stépane Arcadiévitch à cause de son bon et aimable caractère et de sa loyauté indiscutable. Il y avait encore dans son