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L’ouvrage reprit pendant un peu de temps, puis le vieux s’arrêta et dit d’un ton décidé :

« Il faut dîner, Barine. »

Les faucheurs regagnèrent l’endroit où étaient déposés leurs vêtements, et où les enfants attendaient avec le dîner ; les uns s’assemblèrent près des télègues, les autres sous un bouquet de cytises où ils avaient amassé de l’herbe. Levine s’assit auprès d’eux ; il n’avait aucune envie de les quitter. Toute gêne devant le maître avait disparu, et les paysans s’apprêtèrent à manger et à dormir ; ils se lavèrent, prirent leur pain, débouchèrent leurs cruches de kvas, pendant que les enfants se baignaient dans la rivière.

Le vieux émietta du pain dans une écuelle, l’écrasa avec le manche de sa cuiller, versa du kvas, coupa des tranches de pain, sala le tout, et se mit à prier en se tournant vers l’orient.

« Eh bien, Barine, viens goûter ma soupe », dit-il en s’agenouillant devant l’écuelle.

Levine trouva la soupe si bonne qu’il ne voulut pas rentrer chez lui. Il dîna avec le vieux, et leur conversation roula sur les affaires de ménage de celui-ci, auxquelles le maître prit un vif intérêt ; à son tour, il raconta de ses plans et de ses projets ce qui pouvait intéresser son compagnon, se sentant plus en communauté d’idées avec cet homme simple qu’avec son frère, et souriant involontairement de la sympathie qu’il éprouvait pour lui.

Le dîner achevé, le vieillard fit sa prière, et se