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pir de soulagement. Près de lui, un paysan, tout aussi fatigué, s’arrêta aussi.

À la seconde reprise, tout alla de même ; Tite avançait d’un pas après chaque fauchée. Levine, qui marchait derrière, ne voulait pas se laisser dépasser, mais, au moment où l’effort devenait si grand qu’il se croyait à bout de forces, Tite s’arrêtait et se mettait à aiguiser.

Le plus pénible était fait. Lorsque le travail recommença, Levine n’eut d’autre pensée, d’autre désir, que d’arriver aussi vite et aussi bien que les autres. Il n’entendait que le bruit des faux derrière lui, ne voyait que la taille droite de Tite marchant devant, et le demi-cercle décrit par la faux sur l’herbe qu’elle abaissait lentement, en tranchant les petites têtes des fleurs. Tout à coup il sentit une agréable sensation de fraîcheur sur les épaules : il regarda le ciel pendant que Tite affilait sa faux, et vit un gros nuage noir ; il s’aperçut qu’il pleuvait. Quelques-uns des paysans avaient été mettre leurs vêtements, les autres faisaient comme Levine et recevaient avec plaisir la pluie sur leur dos.

L’ouvrage avançait ; Levine avait absolument perdu la notion du temps et de l’heure. Son travail à ce moment lui sembla plein de douceur ; c’était un état d’inconscience, où, libre et dégagé, il oubliait complètement ce qu’il faisait, bien que son ouvrage valut en cet instant celui de Tite.

Cependant Tite s’était approché du vieux, et il examina le soleil avec lui. « De quoi parlent-ils ?