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Le même soir, en allant donner ses ordres pour les travaux du lendemain, Levine, dissimulant son embarras, dit à son intendant :

« Vous enverrez ma faux à Tite pour qu’il la repasse demain, je faucherai peut-être moi-même. »

L’intendant sourit et répondit :

« C’est bien. »

Plus tard, en prenant le thé, Levine dit à son frère :

« Décidément le temps se met au beau, je faucherai demain :

— J’aime beaucoup ce travail, dit Serge Ivanitch.

— Moi, je l’aime extrêmement ; il m’est arrivé de faucher l’année dernière, et je veux m’y remettre demain toute la journée. »

Serge Ivanitch leva la tête et regarda son frère avec étonnement.

« Comment l’entends-tu ? travailler toute la journée comme un paysan ?

— Oui, c’est très amusant.

— C’est un excellent exercice physique, mais pourras-tu supporter une fatigue pareille ? demanda Serge sans aucune intention ironique.

— Je l’ai essayé. Au commencement, c’est dur, puis on s’entraîne. Je crois bien que j’irai jusqu’au bout.

— Vraiment ? Mais de quel œil les paysans voient-ils cela ? Ne tournent-ils pas en ridicule les manies du maître ? Et puis, comment feras-tu pour dîner ? On ne peut guère se faire porter là-bas une bouteille de laffitte et un dindonneau rôti.