Page:Tolstoï - Anna Karénine, 1910, tome 1.djvu/429

Cette page a été validée par deux contributeurs.

sonnels, je saurai les défendre de toutes mes forces ; lorsque, étant étudiant, on venait faire des perquisitions chez nous, et que les gendarmes lisaient nos lettres, je savais défendre mes droits à la liberté, à l’instruction. Je veux bien discuter le service obligatoire, parce que c’est une question qui touche au sort de mes enfants, de mes frères, au mien par conséquent ; mais savoir comment employer les 40 mille roubles d’impôts, et faire le procès d’Alexis l’idiot, je ne m’en sens pas capable. »

La digue était rompue ; Constantin parlait sans s’arrêter. Serge sourit.

« Et si demain tu as un procès, tu préférerais être jugé par les tribunaux d’autrefois ?

— Je n’aurai pas de procès ; je n’assassinerai personne, et tout cela ne me sert à rien. Nos institutions provinciales, vois-tu, dit-il en sautant selon son habitude d’un sujet à l’autre, me rappellent les petits bouleaux que nous enfoncions en terre le jour de la Trinité pour figurer une forêt. La forêt a poussé d’elle-même en Europe, mais, quant à nos petits bouleaux, il m’est impossible de les arroser et de croire en eux. »

Serge Ivanitch haussa les épaules en signe d’étonnement de voir ces petits bouleaux mêlés à leur discussion ; il comprit cependant l’idée de son frère.

« Ceci n’est pas un raisonnement, » dit-il.

Mais Constantin, pour tâcher d’expliquer cette absence d’intérêt pour les affaires publiques, dont il se sentait coupable, continua :