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CHAPITRE III


« Je pensais à toi, dit Serge Ivanitch : sais-tu que d’après ce que raconte le docteur, un garçon qui n’est pas bête, ce qui se passe dans le district n’a pas de nom ? Et cela me fait revenir à ce que je t’ai déjà dit : tu as tort de ne pas aller aux assemblées et de te tenir à l’écart. Si les hommes de valeur ne veulent pas se mêler des affaires, tout ira à la diable. L’argent des contribuables ne sert à rien, car il n’y a ni écoles, ni infirmiers, ni sages-femmes, ni pharmacies : il n’y a rien.

— J’ai essayé, répondit à contre-cœur Levine, mais je ne peux pas : que veux-tu que j’y fasse ?

— Pourquoi ne le peux-tu pas ? Je t’avoue que je n’y comprends rien. Je n’admets pas que ce soit incapacité ou indifférence : ne serait-ce pas tout simplement paresse ?

— Rien de tout cela. J’ai essayé et j’ai acquis la conviction que je ne pouvais rien faire. »

Levine n’approfondissait pas beaucoup ce que disait son frère, et, tout en regardant la rivière et la prairie, il cherchait à distinguer dans le lointain un point noir ; était-ce le cheval de l’intendant ?

« Tu te résignes trop facilement ! Comment n’y mets-tu pas un peu d’amour-propre ?

— Je ne conçois pas l’amour-propre en pareille matière, répondit Levine, que ce reproche piqua