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volontiers des beautés de la nature, préférait aussi n’en pas entendre parler. Les paroles lui gâtaient, prétendait-il, les plus belles choses. Il se contenta d’approuver son frère, et pensa involontairement à ses affaires ; son attention se concentrait sur un champ en jachère qu’ils atteignirent en sortant du bois. Une herbe jaunissante le recouvrait par endroits, tandis qu’à d’autres on l’avait déjà retourné. Les télègues arrivaient à la file ; Levine les compta et fut satisfait de l’ouvrage qui se faisait. Ses pensées se portèrent ensuite, à la vue des prairies, sur la grave question du fauchage, une opération qui lui tenait particulièrement au cœur. Il arrêta son cheval. L’herbe haute et épaisse était encore couverte de rosée. Serge Ivanitch, pour ne pas se mouiller les pieds, pria son frère de le conduire en cabriolet jusqu’au buisson de cytises près duquel on pêchait les perches. Constantin obéit, tout en regrettant de froisser cette belle prairie, dont l’herbe moelleuse entourait les pieds des chevaux et laissait tomber ses semences sur les roues de la petite voiture.

Serge s’assit sous le cytise et lança sa ligne. Il ne prit rien, mais il ne s’ennuyait pas et semblait de bonne humeur.

Levine, au contraire, avait hâte de rentrer et de donner ses ordres sur le nombre de faucheurs à louer pour le lendemain ; mais il attendait son frère et songeait à la grosse question qui le préoccupait.