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figure impassible de son mari. Vous ne vous êtes pas trompé : j’ai été au désespoir et ne puis m’empêcher de l’être encore. Je vous écoute : je ne pense qu’à lui. Je l’aime, je suis sa maîtresse : je ne puis vous souffrir, je vous crains, je vous hais. Faites de moi ce que vous voudrez. » Et, se rejetant au fond de la voiture, elle couvrit son visage de ses mains et éclata en sanglots.

Alexis Alexandrovitch ne bougea pas, ne changea pas la direction de son regard, mais l’expression solennelle de sa physionomie prit une rigidité de mort, qu’elle garda pendant tout le trajet. En approchant de la maison, il se tourna vers Anna et dit :

« Entendons-nous : j’exige que jusqu’au moment où j’aurai pris les mesures voulues — ici sa voix trembla — pour sauvegarder mon honneur, mesures qui vous seront communiquées, j’exige que les apparences soient conservées. »

Il sortit de la voiture et fit descendre Anna ; devant les domestiques, il lui serra la main, remonta en voiture, et reprit la route de Pétersbourg.

À peine était-il parti qu’un messager de Betsy apporta un billet :

« J’ai envoyé prendre de ses nouvelles ; il m’écrit qu’il va bien, mais qu’il est au désespoir.

— Alors il viendra ! pensa-t-elle. J’ai bien fait de tout avouer. »

Elle regarda sa montre : il s’en fallait encore de trois heures ; mais le souvenir de leur dernière entrevue fit battre son cœur.