Page:Tolstoï - Anna Karénine, 1910, tome 1.djvu/376

Cette page a été validée par deux contributeurs.

puissent vous attaquer. Il fut un temps où je parlais de sentiments intimes, je n’en parle plus ; il n’est question maintenant que de faits extérieurs ; vous vous êtes tenue d’une façon inconvenante, et je désire que cela ne se renouvelle plus. »

Ces paroles n’arrivaient qu’à moitié aux oreilles d’Anna ; elle se sentait envahie par la crainte, et ne pensait cependant qu’à Wronsky ; elle se demandait s’il était possible qu’il fût blessé ; était-ce bien de lui qu’on parlait en disant que le cavalier était sain et sauf, mais que le cheval avait les reins brisés ?

Quand Alexis Alexandrovitch se tut, elle le regarda avec un sourire d’ironie feinte, sans répondre ; elle n’avait rien entendu. La terreur qu’elle éprouvait se communiquait à lui ; il avait commencé avec fermeté, puis, en sentant toute la portée de ses paroles, il eut peur ; le sourire d’Anna le fit tomber dans une étrange erreur.

« Elle sourit de mes soupçons, elle va me dire, comme autrefois, qu’ils n’ont aucun fondement, qu’ils sont absurdes. »

C’était ce qu’il souhaitait ardemment ; il craignait tant de voir ses craintes confirmées, qu’il était prêt à croire tout ce qu’elle aurait voulu : mais l’expression de ce visage sombre et terrifié ne promettait même plus le mensonge.

« Peut-être me suis-je trompé ; dans ce cas, pardonnez-moi.

— Non, vous ne vous êtes pas trompé, dit-elle lentement en jetant un regard désespéré sur la