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— Et ta santé ?… Michel Wassiliévitch, vous n’êtes pas encore venu chez moi ; voyez donc comme j’ai bien arrangé mon balcon », dit-elle en s’adressant tantôt à son mari, tantôt à son visiteur.

Elle parlait simplement et naturellement, mais trop, et trop vite, ce qu’elle sentit en surprenant le regard curieux de Michel Wassiliévitch, qui l’observait à la dérobée. Celui-ci s’éloigna du côté de la terrasse, et elle s’assit auprès de son mari.

« Tu n’as pas très bonne mine, dit-elle.

— Oui, le docteur est venu ce matin et m’a pris une heure de mon temps ; je suis persuadé qu’il était envoyé par un de mes amis ; ma santé est si précieuse !

— Que t’a-t-il dit ? »

Et elle le questionna sur sa santé et ses travaux, lui conseillant le repos, et l’engageant à venir s’installer à la campagne. Tout cela était dit gaiement, avec vivacité et animation ; mais Alexis Alexandrovitch n’attachait aucune importance spéciale à ce ton ; il n’entendait que les paroles, et les prenait dans leur sens littéral, répondant simplement, quoiqu’un peu ironiquement. Cette conversation n’avait rien de particulier ; cependant Anna ne put se la rappeler plus tard sans une véritable souffrance.

Serge entra, accompagné de sa gouvernante ; si Alexis Alexandrovitch s’était permis d’observer, il aurait remarqué l’air craintif dont l’enfant regarda ses parents, son père d’abord, puis sa mère ; mais il ne voulait rien voir et ne vit rien.