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giment et le voisinage de Mme Karénine, avait refusé un avancement important pour sa carrière ; d’ailleurs, au lieu d’être la liaison brillante et mondaine qu’elle aurait approuvée, voilà qu’elle apprenait que cette passion tournait au tragique, à la Werther, et elle craignait de voir son fils commettre quelque sottise. Depuis le départ imprévu de celui-ci de Moscou, elle ne l’avait pas revu, et l’avait fait prévenir par son frère qu’elle désirait sa visite. Ce frère aîné n’était guère plus satisfait, non qu’il s’inquiétât de savoir si cet amour était profond ou éphémère, calme ou passionné, innocent ou coupable (lui-même, quoique père de famille, entretenait une danseuse et n’avait pas le droit d’être sévère), mais il savait que cet amour déplaisait en haut lieu, et blâmait son frère en conséquence.

Wronsky, outre ses relations mondaines et son service, avait une passion qui l’absorbait : celle des chevaux. Des courses d’officiers devaient avoir lieu cet été-là ; il se fit inscrire et acheta une jument anglaise pur sang ; malgré son amour, et quoiqu’il y mît de la réserve, ces courses avaient pour lui un attrait très vif. Pourquoi d’ailleurs ces deux passions se seraient-elles nui ? Il lui fallait un intérêt quelconque, en dehors d’Anna, pour le reposer des émotions violentes qui l’agitaient.