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En revanche, quand pendant son sommeil elle perdait tout empire sur ses réflexions, sa situation lui apparaissait dans son affreuse réalité ; presque chaque nuit elle faisait le même rêve. Elle rêvait que tous deux étaient ses maris et se partageaient ses caresses. Alexis Alexandrovitch pleurait en lui baisant les mains et en disant : « Que nous sommes heureux maintenant. » Et Alexis Wronsky, lui aussi, était son mari. Elle s’étonnait d’avoir cru que ce fût impossible, riait en leur expliquant que tout allait se simplifier, et que tous deux désormais seraient contents et heureux. Mais ce rêve l’oppressait comme un cauchemar et elle se réveillait épouvantée.


CHAPITRE XII


Dans les premiers temps qui suivirent son retour de Moscou, chaque fois qu’il arrivait à Levine de rougir et de tressaillir en se rappelant la honte du refus qu’il avait essuyé, il se disait : « C’est ainsi que je souffrais, et que je me croyais un homme perdu lorsque j’ai manqué mon examen de physique, puis lorsque j’ai compromis l’affaire de ma sœur qui m’avait été confiée. Et maintenant ? Maintenant les années ont passé et je me rappelle ces désespoirs avec étonnement. Il en sera de même de ma douleur d’aujourd’hui : le temps passera et j’y deviendrai indifférent. »