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qu’elle devinait son approche et, tout en le reconnaissant, s’adressait à son mari.

« Avez-vous bien passé la nuit ? dit-il lorsqu’il fut près d’elle, saluant, à la fois le mari et la femme pour donner à M. Karénine la possibilité de prendre sa part du salut et de le reconnaître, si bon lui semblait.

— Merci, très bien », répondit-elle.

Son visage était fatigué et n’avait pas son animation habituelle, mais quelque chose brilla dans son regard pour s’effacer aussitôt qu’elle aperçut Wronsky, et cela suffit à le rendre heureux. Elle leva les yeux sur son mari pour voir s’il connaissait le comte ; Alexis Alexandrovitch le regardait d’un air mécontent, semblant vaguement le reconnaître. L’assurance de Wronsky se heurta cette fois au calme glacial d’Alexis Alexandrovitch.

« Le comte Wronsky, dit Anna.

— Ah ! il me semble que nous nous connaissons, — dit Alexis Alexandrovitch avec indifférence en lui tendant la main. — Tu as voyagé, comme je vois, avec la mère en allant, avec le fils en revenant, — dit-il en donnant à chaque mot la même importance que si chacun d’eux eût été un cadeau d’un rouble. — Vous êtes à la fin d’un congé, sans doute ? » Et, sans attendre de réponse, il se tourna vers sa femme et lui dit sur le même ton ironique : « Hé bien ! a-t-on versé beaucoup de larmes à Moscou en se quittant ? »

Cette façon de parler exclusivement à sa femme