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l’Anglaise. Les enfants, soit inconstance, soit instinct, ne jouèrent pas avec leur tante comme à son arrivée ; leur tendresse avait disparu, et ils semblèrent se préoccuper fort peu de la voir partir. Anna avait passé la matinée à organiser son départ ; elle écrivit quelques billets d’adieu, termina ses comptes et fit ses malles. Il sembla à Dolly qu’elle n’avait pas l’âme tranquille, et que cette agitation, qu’elle connaissait par expérience, avait sa raison d’être dans un certain mécontentement général d’elle-même. Après le dîner, Anna monta s’habiller dans sa chambre, et Dolly la suivit.

« Tu es étrange aujourd’hui, lui dit Dolly.

— Moi ! tu trouves ? Non, je ne suis pas étrange, je suis mauvaise. Cela m’arrive, j’ai envie de pleurer. C’est très bête, mais cela passera, — dit-elle vivement, en cachant son visage rougissant contre un petit sac où elle mettait sa coiffure de nuit et ses mouchoirs de poche. Ses yeux brillaient de larmes qu’elle contenait avec peine. — J’avais si peu envie de quitter Pétersbourg, et maintenant il me coûte de m’en aller d’ici.

— Tu es venue faire une bonne action », dit Dolly en l’observant avec attention.

Anna la regarda les yeux mouillés de larmes.

« Ne dis pas cela, Dolly. Je n’ai rien fait et ne pouvais rien faire. Je me demande souvent pourquoi on semble ainsi s’entendre pour me gâter. Qu’ai-je fait, et que pouvais-je faire ? Tu as trouvé assez d’amour dans ton cœur pour pardonner…