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Kitty, un peu étourdie, débarrassa Krivine de ses jupes, et se retourna pour chercher Mme Karénine. Celle-ci n’était pas en mauve, comme Kitty l’avait rêvée, mais en noir. Elle portait une robe de velours décolletée, qui découvrait ses épaules sculpturales et ses beaux bras. Sa robe était garnie de guipure de Venise ; une guirlande de myosotis était posée sur ses cheveux noirs, et un bouquet pareil attachait un nœud noir à son corsage. Sa coiffure était très simple ; elle n’avait de remarquable qu’une quantité de petites boucles qui frisaient naturellement, et s’échappaient de tous côtés, aux tempes et sur la nuque. Autour de son beau cou, ferme comme de l’ivoire, était attachée une rangée de perles fines.

Kitty voyait Anna chaque jour et s’en était éprise ; mais elle ne sentit tout son charme et toute sa beauté qu’en l’apercevant maintenant en noir, après se l’être imaginée en mauve ; l’impression fut si vive qu’elle crut ne l’avoir encore jamais vue. Elle comprit que son grand charme consistait à effacer complètement sa toilette ; sa parure n’existait pas, et n’était que le cadre duquel elle ressortait, simple, naturelle, élégante, et cependant pleine de gaieté et d’animation.

Lorsque Kitty parvint jusqu’au groupe où Anna causait avec le maître de la maison, la tête légèrement tournée vers lui, et se tenant, comme toujours, extrêmement droite, elle disait :

« Non, je ne jetterais pas la pierre, quoique je n’approuve pas. » Et, apercevant Kitty, elle l’ac-