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Levine ouvrit la bouche pour répondre, mais ne dit rien et rougit.

« Voyons, mesdames, mettons les tables à l’épreuve, dit Wronsky ; vous permettez, princesse ? »

Et Wronsky se leva, cherchant des yeux une table.

Kitty se leva aussi, et ses yeux rencontrèrent ceux de Levine. Elle le plaignait d’autant plus qu’elle se sentait la cause de sa douleur. « Pardonnez-moi, si vous pouvez pardonner, disait son regard ; je suis si heureuse ! » — « Je hais le monde entier, vous autant que moi ! » répondait le regard de Levine, et il chercha son chapeau.

Mais le sort lui fut encore une fois contraire ; à peine s’installait-on autour des tables et se disposait-il à sortir, que le vieux prince entra, et, après avoir salué les dames, il s’empara de Levine.

« Ah ! s’écria-t-il avec joie, je ne te savais pas ici ! Depuis quand ? très heureux de vous voir. »

Le prince disait à Levine tantôt toi, tantôt vous ; il le prit par le bras, et ne fit aucune attention à Wronsky, debout derrière Levine, attendant tranquillement pour saluer que le prince l’aperçût.

Kitty sentit que l’amitié de son père devait sembler dure à Levine après ce qui s’était passé ; elle remarqua aussi que le vieux prince répondait froidement au salut de Wronsky. Celui-ci, surpris de cet accueil glacial, avait l’air de se demander avec un étonnement de bonne humeur pourquoi on pouvait bien ne pas être amicalement disposé en sa faveur.