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serve pour le cas de silence prolongé ; la comtesse ne trouva même pas l’occasion de taquiner Levine.

Celui-ci voulait se mêler à la conversation générale et ne le pouvait pas ; il se disait à chaque instant : « Maintenant je puis partir », et cependant il restait comme s’il eût attendu quelque chose.

On parla de tables tournantes et d’esprits frappeurs, et la comtesse, qui croyait au spiritisme, se mit à raconter les merveilles dont elle avait été témoin.

« Comtesse, au nom du ciel, faites-moi voir cela. Jamais je ne suis parvenu à rien voir d’extraordinaire, quelque bonne volonté que j’y mette, dit en souriant Wronsky.

— Fort bien, ce sera pour samedi prochain, répondit la comtesse ; mais vous, Constantin-Dmitritch, y croyez-vous ? demanda-t-elle à Levine.

— Pourquoi me demandez-vous cela, vous savez bien ce que je répondrai.

— Parce que je voudrais entendre votre opinion.

— Mon opinion, répondit Levine, est que les tables tournantes nous prouvent combien la bonne société est peu avancée ; guère plus que ne le sont nos paysans. Ceux-ci croient au mauvais œil, aux sorts, aux métamorphoses, et nous…

— Alors vous n’y croyez pas ?

— Je ne puis y croire, comtesse.

— Mais si je vous dis ce que j’ai vu moi-même ?