Page:Tolstoï - Anna Karénine, 1910, tome 1.djvu/10

Cette page a été validée par deux contributeurs.

que, par tout pays, les convenances de famille l’emportent souvent, dans l’affaire du mariage, sur la raison qui dans cette espèce est l’amour ; parce que, par tout pays encore, les jeunes filles sont élevées de telle façon qu’elles concluent le plus grand engagement de la vie sans savoir un mot de ce qu’est la vie ; a épousé à vingt ans un homme de vingt ans plus âgé qu’elle.

À trente, elle s’éprend d’un officier brillant, spirituel et conquérant et commet la faute irréparable.

Loyale et courageuse, en vraie slave qui regarde droit, au premier soupçon de son mari, à la première question, elle répond, “Oui.” Elle n’avoue pas sa faute ; elle la déclare sans forfanterie, sans défi, mais avec probité et dignité.

Le mari, qui, à mon avis, est le chef-d’œuvre du roman, chef d’œuvre dans un chef-d’œuvre, est un sot ; il est vain, il est gonflé de son importance administrative ; il est puéril ; mais son cœur est droit et il est chrétien. Lentement, avec une extrême lenteur, avec des luttes contre lui-même, avec des hésitations d’homme qui ne comprend pas, avec des régressions vers la haine et la colère, avec des révoltes d’homme qui a la terreur du ridicule ; lentement, avec une extrême lenteur, il finit par sentir, plutôt que comprendre, qu’il a ses torts, qu’il est justement puni, que celui qui à jeune femme n’a pas donné sa jeunesse et que celui qui à un être né pour