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Prascovie Fédorovna disait, non sans raison maintenant, que son mari avait un caractère pénible. Avec sa manie de tout exagérer, elle prétendait qu’il avait toujours eu ce caractère, et qu’il avait fallu sa bonté d’âme à elle pour le supporter vingt ans. Il est vrai que, maintenant, dans leurs querelles, c’était toujours lui qui commençait. Régulièrement, il se mettait à grogner au moment de se mettre à table, ou bien, au commencement du dîner, pendant le potage. Tantôt c’était pour une assiette ébréchée, tantôt pour un plat qui ne lui plaisait pas, tantôt parce que son fils avait mis ses coudes sur la table, ou à cause de la coiffure de sa fille. Et toujours c’était la faute de Prascovie Fédorovna. Les premiers temps, elle lui tint tête et lui répondit avec violence, mais à deux reprises, au commencement des repas, il s’emporta si furieusement qu’elle comprit que c’était dû à un état maladif, alors elle décida de ne plus lui répondre et se contenta de presser le dîner. Elle s’en fit un immense mérite. Comme elle avait décidé que son mari avait un caractère affreux et qu’il l’avait rendue extrêmement malheureuse, elle s’apitoya sur elle-même. Et plus elle se trouvait à plaindre, plus elle détestait son mari. Elle eut bien souhaité sa mort, mais alors les appointements auraient manqué, Et cela l’irritait davantage contre lui. Elle se jugeait très malheureuse, d’autant plus que la mort même ne pouvait la délivrer, et elle s’irritait sans en rien laisser