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leurs visages quand ils m’aperçurent. Lui, je crois était à table, et quand il me vit ou m’entendit, il sursauta, se mit debout et recula jusqu’au buffet. La peur était le seul sentiment qu’exprimât nettement sa physionomie. En elle aussi se lisait la peur, mais avec d’autres impressions. Si sa physionomie à elle n’avait exprimé que l’épouvante, peut-être ce qui est arrivé ne serait-il pas arrivé. Mais dans l’expression de son visage, il me sembla voir, du moins au premier moment, l’ennui, le mécontentement d’être troublée dans son amour, dans son bonheur avec lui. On eût dit que son seul regret était d’avoir été troublée au moment d’être heureuse. Ces diverses expressions ne parurent sur leurs faces qu’un instant. Presque immédiatement la terreur fit place à l’alternative : peut-on mentir ou non ? Si oui, il fallait commencer ; sinon, quelque chose allait se passer. Mais quoi ? Et il la regarda interrogativement. L’expression d’angoisse et d’ennui qui se montrait sur son visage me paraissait se transformer, quand elle le regardait, en une expression de souci pour lui.

Je m’arrêtai un instant à la porte, le poignard caché derrière mon dos.

À ce moment il sourit, et d’un ton indifférent jusqu’au ridicule, il dit : — « Nous faisions de la musique ». — Je ne m’attendais pas », commença-t-elle en même temps, réglant son ton sur le sien. Mais ni l’un ni l’autre ne continuèrent. La