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et puis, finalement ce n’était rien. Il en est de même maintenant. Peut-être, c’est même certain, la trouverai-je tranquillement endormie ; elle se réveillera, sera heureuse, et dans ses paroles, dans son regard, je verrai que rien n’est arrivé, que tout cela était absurde. Ah ! comme ce serait bien… » — « Mais non, c’est arrivé trop souvent, cette fois c’est fini », me disait une voix. Et de nouveau tout recommencait. Ah ! quel supplice ! Ce n’est pas dans un hôpital de syphilitiques que j’introduirais un jeune homme pour lui ôter le désir des femmes, mais dans mon âme, pour lui montrer le démon qui la déchirait. Ce qui était effroyable, c’était de me reconnaître un droit indiscutable sur le corps de ma femme, comme si c’était mon corps, pendant que je sentais que je ne pouvais pas posséder ce corps, qu’il n’était pas à moi, qu’elle en pouvait faire ce qu’elle voulait, et qu’elle en voulait faire ce que je ne voulais pas qu’elle en fît. En outre je me sentais impuissant contre lui et contre elle. Lui, comme le Vanka des contes, chanterait avant de monter au gibet, baiserait ses lèvres douces, etc… Et il aurait l’avantage. Avec elle, c’est pire encore ; si elle ne l’a pas fait, elle le désire, et le veut ; je sais qu’elle le veut. C’est encore pire. Il vaudrait mieux qu’elle l’eût déjà fait, je sortirais de mon incertitude, Enfin je n’aurais su dire ce que je désirais : je désirais qu’elle ne voulût pas ce qu’elle devait vouloir. C’était une folie complète !