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diatement dans l’état d’âme où se trouvait celui qui écrivit cette musique. Mon âme se confond avec la sienne et, avec lui, je passe d’un état à l’autre. Comment cela se fait-il, je n’en sais rien. Celui qui a écrit la Sonate à Kreutzer, Beethoven, savait, lui, pourquoi il se trouvait dans cet état : cet état le mena à certaines actions, et voilà pourquoi, pour lui, il avait un sens, tandis que pour moi il n’en a point. C’est la raison pour laquelle la musique provoque une excitation qu’elle laisse inachevée. On joue, par exemple, une marche militaire : le soldat passe au son de cette marche et la musique est terminée. On chante une messe, je communie, et la musique encore est terminée. Mais l’autre musique provoque une excitation qui n’indique pas quel acte doit lui correspondre. Voilà pourquoi la musique est si dangereuse, agit parfois si effroyablement. En Chine, la musique est soumise au contrôle de l’État, et c’est ainsi que cela doit être. En effet, peut-on admettre que le premier venu hypnotise une ou plusieurs personnes et en fasse après ce qu’il veut ? Et surtout que l’hypnotiseur soit n’importe quel individu immoral.

C’est un pouvoir effroyable dans les mains d’un individu quelconque. Par exemple, le premier presto de cette Sonate à Kreutzer, peut-on le jouer dans un salon où se trouvent des dames décolletées, puis le morceau fini, applaudir, manger des