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trente ans, sans renoncer pour une minute à mon intention de me marier et de me créer une vie de famille des plus élevées et des plus pures. Dans ce but, j’observais les jeunes filles qui auraient pu me convenir. J’étais enfoncé dans la fange de la débauche et en même temps je cherchais des jeunes filles dont la pureté fût digne de moi.

J’en écartai beaucoup, précisément parce qu’elles ne me semblaient pas assez pures, Enfin j’en trouvai une que je jugeai digne de moi. C’était une des deux filles d’un propriétaire terrien de Penza, jadis très riche et depuis ruiné.

Une nuit, au clair de lune, pendant que nous revenions d’une promenade en bateau, assis à côté d’elle j’admirais son corps svelte dont un jersey moulait les formes gracieuses, les boucles de ses cheveux, et je conclus subitement que c’était elle. Il me semblait, par ce beau soir, qu’elle comprenait tout ce que je pensais et sentais, et je pensais et sentais les choses les plus élevées. En réalité, il n’y avait que le jersey qui lui allait très bien, et les boucles de ses cheveux, et aussi que j’avais passé la journée auprès d’elle et désirais un rapprochement plus intime.

Chose extraordinaire cette illusion qu’on a parfois, que la beauté est le bien ! Une jolie femme dit des sottises, on l’écoute et n’entend pas des sottises, mais des choses spirituelles. Elle dit, elle fait des choses mauvaises et on voit quelque chose de