Page:Tolstoï - Œuvres complètes vol27.djvu/18

Cette page a été validée par deux contributeurs.

cendre de sa cigarette allait se détacher, elle avança vivement le cendrier du côté de Piotr Ivanovitch et poursuivit : — Je trouve que ce serait de l’hypocrisie de ma part de dire que le chagrin m’empêche de songer aux affaires pratiques. Au contraire, si quelque chose peut sinon me consoler, du moins me distraire, c’est de m’occuper de tout ce qui le concerne.

Elle prit de nouveau son mouchoir, s’apprêtant à pleurer encore ; mais soudain, comme si par un effort elle revenait maîtresse d’elle-même elle reprit avec calme :

— J’ai quelque chose à vous dire.

Piotr Ivanovitch s’inclina sans donner trop de liberté aux ressorts du pouf, qui déjà commençaient à s’agiter sous lui.

— Il a beaucoup souffert les derniers jours…

— Ah ! Il a souffert beaucoup ? fit-il.

— Terriblement ! Il passa non seulement ses dernières minutes, mais ses dernières heures, à crier. Pendant trois jours de suite, il a crié sans s’arrêter. C’était intenable. Je ne puis comprendre comment j’y ai résisté. On l’entendait à travers trois chambres. Oh ! Ce que j’ai souffert !

— Et avait-il toute sa connaissance ? demanda Piotr Ivanovitch.

— Oui, fit-elle à voix basse, jusqu’à la fin. Il nous a dit adieu un quart d’heure avant sa mort. Il nous pria même d’emmener Volodia.