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puis je trouvai indispensable de le transformer en buisson. Le buisson me déplut aussi, j’en fis un arbre, puis de l’arbre, une meule ; de la meule, un nuage ; enfin je barbouillai tant mon papier avec la couleur bleue, que de dépit, je le déchirai, et allai faire un somme dans le fauteuil voltaire.

Maman jouait le deuxième concerto de Field — son professeur. Je sommeillais à demi et, dans mon imagination, glissaient des souvenirs légers, lumineux et transparents. Elle commença à jouer la sonate pathétique de Beethoven, et je me rappelai quelque chose de triste, de pénible et de sombre. Maman jouait souvent ces deux morceaux, c’est pourquoi je me rappelle très bien les sensations mêmes qu’ils éveillaient en moi. Ces sensations ressemblaient à des souvenirs, mais souvenirs de quoi ? Il semble qu’on se rappelle des choses qui n’ont jamais existé.

En face de moi était la porte du cabinet, et j’y vis entrer Iakov et encore quelques hommes avec la barbe et le caftan. La porte se referma aussitôt derrière eux : « Ah, les occupations sont commencées ! » pensai-je. Il me semblait que des affaires plus importantes que celles qui se passaient dans le cabinet, ne pouvaient être au monde. Ce qui me confirmait encore dans cette pensée, c’est que tous ceux qui s’approchaient des portes du cabinet de travail, ordinairement se mettaient à parler bas et marchaient sur la pointe des pieds ; de là arrivaient