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immenses, étincelants, dorés, se finissaient d’un côté par la forêt toute bleuâtre qui, en ce temps, nous semblait l’endroit lointain et mystérieux derrière lequel, ou bien finit le monde, ou bien commencent les pays inhabités. Tous les champs étaient couverts de meules et de paysans. Dans le seigle haut, épais, on apercevait çà et là, dans un sillon, le dos courbé d’une moissonneuse, le balancement des épis, quand elle les rejetait ; à l’ombre, une femme penchée sur un berceau, et les gerbes couchées dans le champ constellé de bleuets. De l’autre côté des paysans en chemise, debout sur des charrettes, entassaient les meules et soulevaient la poussière dans le champ brûlé et desséché. Le starosta,[1] chaussé de bottes, le caftan jeté sur les épaules, les tailles[2] à la main, en apercevant de loin papa, ôta son chapeau de feutre, essuya sa tête rousse et sa barbe avec une serviette et cria après les femmes. Le petit cheval roux que montait papa marchait d’un trot léger et allègre, et baissait rarement la tête sur le poitrail, mais tendait les rênes et chassait de sa queue épaisse les mouches et les œstres qui avidement se posaient sur lui. Deux lévriers, la queue en trompette, élevant haut les pattes, sautaient gra-

  1. Le starosta est l’ancien, l’élu qui gère les affaires des paysans du village.
  2. Taille, morceau de bois sur lequel on fait des encoches pour marquer les journées de travail des ouvriers. (N. d. T.)