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— On a beau rendre des services aux gens – disait avec émotion Karl Ivanovitch, — on a beau leur être dévoué, il est clair qu’il ne faut pas attendre de reconnaissance, Nikolaï ?

Nikolaï, qui était assis près de la fenêtre et cousait une botte, fit un signe affirmatif de la tête.

— Il y a douze ans que je suis dans cette maison, continua Karl Ivanovitch, en levant ses yeux et sa tabatière vers le plafond — et je puis dire devant Dieu, Nikolaï, que je les aime et que je me suis donné pour eux plus de peine que s’ils eussent été mes propres enfants. Tu te rappelles, Nikolaï, quand Volodenka[1] a eu la typhoïde, tu te rappelles, j’ai passé neuf jours à son chevet, sans fermer l’œil. Oui ! dans ce temps j’étais le bon Karl Ivanovitch, le cher Karl Ivanovitch ; on avait besoin de moi ; à présent, — ajoutait-il en souriant ironiquement – les enfants sont devenus grands ; il est temps de travailler sérieusement. Comme s’ils n’apprenaient rien ici, Nikolaï ?

— Comment apprendre mieux, bien sûr ? — dit Nikolaï en posant son alène et en tirant à deux mains sur le ligneul.

— Oui, à présent qu’on n’a plus besoin de moi, il faut me mettre à la porte ; que sont devenues les promesses ? et la reconnaissance ? Je respecte et j’aime Natalia Nicolaïevna — di-

  1. Diminutif de Volodia.