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entre ses mains, et comme on le voit par maints indices, il est peu probable que votre reçu vienne avant deux mois. — Le foin, vous l’avez dit vous-même, on en tirera peut-être 3.000…

Il marqua sur l’abaque 3.000, se tut un instant, en regardant tantôt le boulier, tantôt les yeux de papa, avec une expression qui voulait dire : « Vous voyez comme c’est peu ! Et sur le foin nous perdrons aussi, si nous le vendons maintenant, vous le savez vous-même… »

Il était visible qu’il tenait une foule d’arguments en réserve, c’est peut-être pour cela que papa se hâta de l’interrompre.

— Je ne changerai pas mes ordres — dit-il ; — pourtant, si l’argent ne rentrait pas tout de suite, il n’y aurait rien, rien à faire, tu prendrais ce qui serait nécessaire sur celui de Khabarovka.

— C’est bon.

Par le visage et les doigts de Iakov, on voyait que ce dernier ordre lui faisait un vif plaisir.

Iakov était serf, c’était un homme très zélé et très dévoué ; comme tous les bons intendants, il était avare jusqu’à l’extrême pour son maître et avait, sur les intérêts de celui-ci, les notions les plus étranges. Il se souciait toujours d’enrichir Monsieur aux dépens de Madame, et tâchait de prouver la nécessité de dépenser tous les revenus des propriétés de Madame pour Petrovskoié (la campagne que nous habitions).