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seigne. Quelquefois, en cachette, il cligne des yeux et nous fait signe quand grand’mère commence à se fâcher et à grogner contre nous sans aucune cause.

« Eh bien ! nous avons été attrapés, mes enfants ! » dit-il ensuite. En général, à mes yeux il descend peu à peu de cette hauteur inaccessible où le plaçait mon imagination d’enfant. Je baise ses longues mains blanches avec le même sentiment d’amour et de respect, mais je me permets déjà de penser sur lui, de juger ses actes, et involontairement me viennent sur lui des pensées que je suis effrayé d’avoir. Jamais je n’oublierai un fait qui m’a inspiré beaucoup de toutes ces pensées et m’a causé de vraies souffrances morales.

Une fois, très tard dans la soirée, il est entré au salon en frac et en gilet blanc, pour amener avec lui, au bal, Volodia qui, à ce moment, s’habillait dans sa chambre. Grand’mère, dans la chambre à coucher, attendait que Volodia vint se montrer à elle (elle avait l’habitude, avant chaque bal, de l’appeler chez elle, de le bénir, de l’examiner et de lui faire des recommandations). Dans le salon, éclairé d’une seule lampe, Mimi et Katenka allaient et venaient et Lubotchka, assise au piano, étudiait le deuxième concerto de Field, le morceau favori de maman.

Je n’ai jamais rencontré une aussi grande ressemblance de famille qu’entre ma sœur et maman.