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à cet homme, je trouve que c’était un bon Français, mais un Français au plus haut degré. Il n’était pas sot, était assez instruit et remplissait honnêtement ses devoirs envers nous, mais il avait, ce qui est si général chez tous ses compatriotes, mais si contraire au caractère russe, les traits essentiels d’un léger égoïsme, de l’ambition, de l’audace, de la fatuité ignorante. Tout cela me déplaisait beaucoup. Il va sans dire que grand’mère lui avait expliqué son opinion sur la punition corporelle et qu’il n’osait pas me battre, mais malgré cela, souvent il menaçait, surtout moi, des verges, et il prononçait le mot fouetter (comme fouater) d’une façon si insupportable et avec une telle intonation, que fouetter semblait lui devoir faire grand plaisir.

Je n’avais nullement peur du mal de la punition, et je ne l’ai jamais subie, mais l’idée seule que Saint-Jérôme pouvait me frapper, me mettait dans un état douloureux de désespoir concentré et de fureur.

Il arrivait à Karl Ivanovitch, dans des moments d’impatience, de s’arranger personnellement avec nous par la règle ou par ses bretelles, mais je me souviens de cela sans aucune amertume. Même à cette époque que je décris (j’avais alors quatorze ans), si Karl Ivanovitch m’eût battu j’aurais supporté ses coups avec calme. J’aimais Karl Ivanovitch, je me le rappelais depuis moi-même, et