— Qui pouvait s’y attendre ? — continuai-je.
— Ah ! mon petit père, — fit-elle en me jetant un doux regard d’attendrissement, — non seulement s’y attendre, mais même maintenant je n’y puis penser. Je suis déjà vieille, il y a déjà longtemps que mes vieux os demandent le repos ; et voilà jusqu’où je suis venue : le vieux maître, votre grand-père, d’éternelle mémoire, le prince Nikolaï Mikhaïlovitch, ses deux frères, sa sœur Annouchka, je les ai tous enterrés, et tous étaient plus jeunes que moi. Et maintenant, pour mes péchés, voilà que je lui survis. C’est sa sainte volonté ! Il l’a prise chez lui parce qu’elle en était digne, là-bas il ne veut que les bons.
Cette idée simple m’apporta quelque consolation et je me rapprochai de Natalia Savichna. Elle avait croisé ses bras sur sa poitrine et levait ses regards. Ses yeux creusés, humides, exprimaient une tristesse profonde, mais calme. Elle espérait fermement que Dieu ne la séparerait pas pour longtemps de celle sur qui, pendant de longues années, s’étaient concentrées les forces de son amour.
— Oui, mon petit père, je me demande, y a-t-il longtemps que je l’emmaillotais et qu’elle m’appelait Nacha. Elle aimait accourir vers moi, m’enlaçant de ses petits bras, et elle m’embrassait et balbutiait : « Ma Nacha, ma petite poule. » Et moi je répondais en plaisantant : « C’est pas vrai, ma pe-