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que doit éprouver le peintre en attendant, du juge respecté, l’arrêt sur son chef-d’œuvre.

Le jeune gouverneur des Ivine, Herr Frost, avec la permission de grand’mère, nous accompagna au jardin, s’assit sur un banc vert, croisa gracieusement ses jambes, en posant entre elles sa canne à poignée de cuivre, et avec l’expression d’un homme très content de ses actes, il alluma son cigare.

Herr Frost était Allemand, mais un Allemand d’un tout autre genre que notre bon Karl Ivanovitch : premièrement, il parlait correctement le russe, le français, avec une mauvaise prononciation, et jouissait en général, surtout parmi les dames, de la réputation d’un homme fort savant ; deuxièmement, il portait les moustaches rousses, une grosse épingle de rubis attachait une cravate de satin noir dont les bouts étaient cachés sous ses bretelles, et il avait un pantalon bleu-clair, de couleur changeante et à sous-pieds ; troisièmement, il était jeune, avait le visage beau, fat, et des jambes très musclées. On voyait qu’il appréciait surtout ces derniers avantages : il se croyait irrésistible envers les personnes du sexe féminin, et c’est sans doute pour cela qu’il s’efforçait toujours de mettre ses jambes en évidence, et assis ou debout, il jouait toujours du mollet. C’était le type du jeune allemand-russe qui veut se montrer brave et conquérant.

Au jardin ce fut très gai. Le jeu des brigands marchait au mieux, mais un incident faillit tout