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n’étais pas beau, et je ne me trompais nullement, c’est pourquoi chaque allusion à mon physique me blessait fortement.

Je me rappelle très bien qu’une fois, pendant le dîner, — j’avais alors six ans, — on parlait de ma personne ; maman tâchait de trouver en mon visage quelque chose de bien, et disait que j’avais des yeux intelligents, le sourire agréable ; mais enfin, cédant aux taquineries de papa et à l’évidence, elle était forcée de reconnaître que j’étais laid. Quand je la remerciai après le dîner, elle me caressa la joue et me dit :

— Tu dois savoir, Nikolenka, que personne ne t’aimera pour ton visage, c’est pourquoi tu dois t’efforcer d’être intelligent et bon.

Ces paroles non seulement me convainquirent que je n’étais pas beau, mais en outre que je serais assurément un garçon bon et intelligent.

Malgré cela, je fus souvent en proie à des crises de désespoir ; je m’imaginais qu’il n’y avait pas de bonheur sur terre pour un homme qui avait comme moi le nez si large, les lèvres si grosses et des yeux gris si petits. Je priais Dieu de faire un miracle, de me transformer en un joli garçon, et j’aurais donné tout ce que j’avais dans le présent, et tout ce que je pouvais avoir dans l’avenir en échange d’une jolie figure.