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boîte ou un dessin ? — me dit papa. Il n’y avait rien à faire ; d’une main tremblante je tendis la feuille fatale, déjà froissée, mais ma voix refusa absolument de me servir, et en silence je m’arrêtai devant grand’mère. Je ne pouvais me faire à la pensée qu’au lieu de regarder le dessin attendu, on allait lire devant tout le monde, mes vers qui ne valaient rien, et les paroles : comme notre propre mère qui prouvaient clairement que je ne l’avais jamais aimée et que je l’avais oubliée. Comment décrire les angoisses que j’éprouvais pendant que grand’mère lisait à haute voix ma poésie, et quand, ne pouvant pas bien lire, elle s’arrêtait au milieu d’un vers, et, avec un sourire qui alors me semblait moqueur, regardait papa ; ou quand elle ne prononçait pas comme je voulais ; et quand, à cause de la faiblesse de sa vue, ne pouvant lire jusqu’au bout, elle tendit la feuille à papa, et lui demanda de relire tout, à partir du commencement ? Il me semblait qu’elle agissait ainsi parce qu’elle en avait assez de lire d’aussi mauvais vers, et pour que papa lût lui-même le dernier vers qui montrait si clairement mon manque de cœur.

J’attendais qu’il me frappât le nez avec ces vers et me dît : « Méchant garçon, n’oublie pas ta mère… voilà ce que tu mérites ! » Mais rien de pareil ne se produisit ; au contraire, la lecture finie, grand’mère dit : charmant ! et m’embrassa au front.