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Quand maman se maria, pour récompenser et remercier Natalia Savichna de ses vingt années de service et de dévouement, elle l’appela chez elle, et, en lui exprimant, dans les termes les plus élogieux, tout son attachement et son affection, elle lui remit un papier timbré contenant l’acte d’affranchissement en sa faveur et ajouta qu’elle recevrait une pension annuelle de 300 roubles, qu’elle continuât ou non à servir dans la maison. Natalia Savichna écouta tout cela en silence puis, prenant l’acte dans ses mains, elle le regarda très méchamment, marmonna quelque chose entre ses dents et sortit de la chambre en frappant la porte. Ne comprenant pas la cause de cette étrange conduite, peu après, maman pénétrait dans la chambre de Natalia Savichna.

Celle-ci était assise sur un coffre, les yeux pleins de larmes, elle roulait son mouchoir entre ses doigts et regardait fixement les petits morceaux de l’acte d’affranchissement jetés sur le parquet.

— Qu’avez-vous, ma colombe, Natalia Savichna ? — demanda maman, en lui prenant la main.

— Rien, petite mère — répondit-elle : — je vous ai sans doute déplu en quelque chose que vous me chassez… C’est bon, je m’en irai.

Elle retira sa main, et retenant à grand’peine ses larmes, voulut sortir de la chambre. Maman la retint, l’embrassa et toutes deux pleurèrent.

Aussi loin que remontent mes souvenirs, je me