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tait qu’un homme sans cœur, intéressé, égoïste, et l’on se trompera.

En entrant dans le cabinet, ses papiers à la main et son discours en tête, il avait l’intention d’exposer éloquemment, devant papa, toutes les injustices qui lui avaient été faites dans notre maison ; mais quand il commença à parler de cette même voix émue et avec les mêmes intonations sentimentales qu’il avait l’habitude de prendre pour nous faire la dictée, son éloquence agit le plus fortement sur lui-même, si bien qu’en arrivant au passage contenant ces mots : « Quelque tristesse que j’éprouve en me séparant des enfants. » il s’embarrassa tout à fait, sa voix trembla et il fut obligé de tirer de sa poche son mouchoir à carreaux.

— Oui, Piotr Alexandrovitch, — disait-il à travers les larmes (ce passage n’était pas dans le discours préparé) : — je suis si habitué aux enfants que je ne sais pas ce que je ferai sans eux. Je préférerais vous servir sans appointements — ajouta-t-il en essuyant ses larmes d’une main, et de l’autre tendant sa note.

En ce moment Karl Ivanovitch parlait-il franchement ? Je pourrais l’affirmer, car je connaissais son bon cœur ; mais comment concilier sa note et ses paroles ? Cela reste pour moi un mystère.

— Si c’est triste pour vous, ce le sera encore davantage pour moi de me séparer de vous — dit papa, en lui frappant l’épaule, j’ai réfléchi maintenant.