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fois, en ville, il les avait promenés avec des bohémiennes et des petites dames, comme disait Balaga. Plusieurs fois, en les conduisant à Moscou, il avait écrasé des gens du peuple et des cochers, et toujours avait pu se sauver. Avec eux, il avait crevé plusieurs chevaux. Plusieurs fois, il avait été battu par eux ; plusieurs fois, ils l’avaient enivré de champagne et de madère, qu’il aimait, et il connaissait plusieurs de leurs tours dont chacun méritait la Sibérie. Dans leurs orgies, ils invitaient souvent Balaga, le forçaient à boire et à danser chez les tziganes, et beaucoup de milliers de roubles passaient par ses mains. À leur service, il risquait sa vie vingt fois par an, et, pour eux, il avait tué plus de chevaux qu’il n’en avait reçu d’argent. Mais il les aimait ; il aimait ces courses folles de dix-huit verstes à l’heure ; il aimait renverser les cochers et écraser les piétons et parcourir, au grand galop, les rues de Moscou. Il aimait entendre derrière lui les voix crier : « Plus vite ! Plus vite ! » alors qu’il était impossible d’aller plus vite. Il aimait allonger un coup de fouet sur le dos d’un paysan qui, sans cela, plus mort que vif, s’écartait de lui. « De vrais seigneurs ! » pensait-il.

Anatole et Dolokhov, eux aussi, aimaient Balaga pour sa connaissance artistique du métier et parce qu’il aimait les mêmes choses qu’eux. Aux autres, Balaga demandait vingt-cinq roubles pour une