Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol9.djvu/387

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

elle écrire après ce qui s’était passé la veille ? « Oui, oui, tout cela était, et maintenant, c’est tout autrement ! » pensait-elle, assise devant la lettre commencée. « Il faut refuser. C’est nécessaire ? C’est horrible !… » Et pour oublier ces pensées terribles, elle partit trouver Sonia et, avec elle, se mit à examiner des broderies.

Après le dîner, Natacha alla dans sa chambre et se mit de nouveau à la lettre pour la princesse Marie. « Tout est-il déjà fini ? Tout cela est-il arrivé si vite, tout le passé est-il anéanti ? » Elle se rappelait toute la force de son amour pour le prince André, et, en même temps, elle sentait qu’elle aimait Kouraguine. Elle se voyait vivement la femme du prince André, elle se représentait le tableau, tant de fois présent à son imagination, du bonheur avec lui, et en même temps, elle s’enflammait d’émotion en se rappelant tous les détails de son entrevue de la veille avec Anatole. « Pourquoi ce ne peut-il être ensemble ? » pensa-t-elle plusieurs fois dans l’étourdissement complet. « C’est seulement alors que je serais tout à fait heureuse ; mais sans l’un d’eux je ne puis l’être. Dire au prince André ce qui s’est passé, ou le lui cacher c’est également impossible. Et avec cela rien n’est encore gâté. Mais faut-il renoncer pour toujours au bonheur de l’amour du prince André, bonheur avec lequel j’ai vécu si longtemps ? »

— Mademoiselle, dit la femme de chambre qui,