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il s’approcha de Natacha et la suivit. Dès que Natacha l’aperçut, comme au théâtre, le sentiment du plaisir orgueilleux de lui plaire et la peur causée par l’absence d’obstacles entre elle et lui, la saisirent. Hélène reçut joyeusement Natacha et admira sa beauté et sa toilette. Bientôt après leur arrivée, mademoiselle Georges se retira dans une chambre pour se costumer. Dans le salon on commençait à installer les chaises, et Anatole approcha une chaise à Natacha et voulut s’asseoir à ses côtés ; mais le comte, qui ne quittait pas des yeux Natacha, s’assit près d’elle. Anatole se plaça derrière.

Mademoiselle Georges, ses gros bras nus, un châle roulé jeté sur une épaule, sortit dans l’espace libre laissé pour elle devant les chaises, et s’arrêta dans une pose apprêtée. On entendit des chuchotements enthousiastes. Mademoiselle Georges, sévèrement et sombrement, regarda le public et commença à réciter des vers français où il était question de son amour criminel pour son fils. À certains passages elle haussait la voix, à d’autres elle parlait bas en levant triomphalement la tête, à certains endroits elle s’arrêtait et râlait en ouvrant largement les yeux.

Adorable ! divin ! délicieux ! entendait-on de tous côtés. Natacha regardait la grosse Georges mais n’entendait rien de ce qui se faisait devant elle. De nouveau elle se sentait seulement tout à fait prise par ce monde étrange, fou, si éloigné